Toucher les âmes en douceur

14 h 26 Gome 1 Comments


« Il est surprenant de voir tout ce que vous pouvez accomplir si vous ne vous préoccupez pas de savoir qui en jouira. »

  • - Harry S. Truman 
  • Citation dans le livre L’art d’être bon par Stenfan Einhorn 

    J’ai la chance d’habiter en colocation avec deux femmes oeuvrant dans des domaines artistiques avec qui je peux avoir des conversations qui enrichissent mes réflexions au niveau de mon parcours académique en plus ce celles de mon âme. Les racines de ce projet se sont par ailleurs développées à partir d’une discussion avec l’une d’entre elles concernant la réception chez les gens de ce que l’on fait, l’idée d’avoir du feedback ou de sentir que notre travail soit porteur de sens grâce au fait qu’on puisse concrètement relever que ce qu’on a créé touche les gens. Pour ma part, je considère que bien qu’il soit légitime de vouloir de la reconnaissance pour son travail, cela ne devrait pas se présenter comme une motivation pour pratiquer son art. Le plus souvent, il me semble que je me retrouve simplement les mains en train de réaliser ce que je suis curieuse de voir exister, non pas pour en voir le résultat de l’impact créé chez les autres, mais parce que j’ai envie que ma création soit existante et qu’elle soit là dans l’éventuel moment où une personne la verra, et où cette personne sera libre d’être touchée ou de s’y identifier selon la nature de ses sentiments. De plus, je me dis que si je prenais le temps de dire à chacun qui me touche qu’ils me touchent, quand dormirais-je ? Toutefois, ça n’empêche pas le fait que j’accorde une très grande importance à communiquer les beaux sentiments qu’une personne nous apporte et je fais mon possible pour faire connaître mon admiration à ceux dont le travail me rejoint, mais jamais je n’attends une réponse en retour. Je le fais simplement parce que j’en retire du plaisir de ce petit don sous forme d’écriture. 

    En réfléchissant sur des concepts pour ce travail, j’en venais à m’imaginer un projet qui puisse ainsi relié l’idée de l’art furtif, celle du simple don et j’avais envie de profiter de l’occasion pour analyser ma pratique reliée au bijou, réfléchir plus profondément à l’aspect relationnel de mon travail puisqu’il en est au fondement. En effet, mon art peut seulement exister grâce aux relations entre êtres chers et à celle avec soi-même. Je crée pour moi, pour ceux qui me donnent le goût de transposer leur sensibilité, pour le désir de voir si j’arrive à exprimer l’exactitude d’un sentiment ou par pure curiosité. Rien ne m’est plus agréable que de consacrer mon temps à apprendre librement ce vers quoi ma curiosité m’appelle. Comme disait Odilon Redon dans son Journal ; « Rien n’est perdu dans une étude ». Lire son livre m’a apporté un enseignement d’une réelle douceur.

    Mais, comment dire. Disons que… après quelques coupes de vin, et un gin tonique, je me sens un peu plus en état d’affirmer que ce que je souhaite à travers ma pratique artistique c’est de toucher les âmes en douceur. La douceur. J’admire sa finesse, sa force, sa discrétion. Et la discrétion porte en elle la liberté, quoiqu’elle cache toutefois son lot d’incertitudes. D’où mon petit doute à être en mesure de pouvoir affirmer fermement ce que je souhaite à travers ma pratique, mais il me semble je le sens sincèrement au moment où j’écris ces mots. 

    Mais bref, pour en revenir à ce travail, j’ai placé des bouts de papier avec la citation au début de ce texte dans divers livres à la bibliothèque Gabrielle-Roy, au centre de documentation de La Fabrique et dans diverses petites boîtes à livres des rues de Québec. Je les ai glissé tel des marque-pages dans le but de transposer l’idée de mon approche pour le bijou dans un autre médium que celui avec lequel je crée normalement, tout en appliquant un moyen ​auquel j’ai déjà pu ressentir les effets, car étant moi-même une lectrice et amoureuse des bibliothèques, chaque signet ou autre bout de papier trouvé dans un livre enveloppe mon esprit de velours. Rien de tel qu’avoir un moment d’étonnement agréable qui perce le coeur des activités journalières. En insérant cette citation, je voulais recréer ce qu’elle insuffle. Les répercussions sur une personne qui s’y attarde peuvent être profondes et durables, je n’en saurai jamais rien, mais quel bonheur chaque ouverture de livre pour y mettre un signet. En fait, quel bonheur qu’être entourée de livres. La bibliothèque est un lieu qui nous ouvre à nous-mêmes par l’intermédiaire des relations humaines puisqu’on s’y prête à être seul, la tête plongée dans les ouvrages d’auteurs, tout en étant parmi d’autres lecteurs. Écouter de sa curiosité découvre notre âme et je crois que mes lectures expliquent les raisons pour lesquelles que mon art est si étroitement relié à l’intime, à l'introspection, à l’histoire propre à chacun. Je m’intéresse à l’humain dans son individualité plus qu’en tant qu’être dans une société. Je vois le bijou comme le reflet de celui qui le porte, une façon de transposer des valeurs fondamentales, des sentiments sincères, une histoire singulière. Je souhaite que mon art puisse transparaître avec finesse ce que la personne le portant ressent et qu’il sache exprimer l’ouverture qu’elle fait part aux regards des autres qui savent se montrer attentifs aux subtilités. Toujours loin d’être ostentatoire, les détails se dévoilent qu’avec un observateur qui prend le temps de les identifier. Quel que soit le lieu ou le moment où je puise mon inspiration, dans la nature, les rencontres, mes lectures, mes curiosités, mes désirs, il s’agit dans tous les cas de faire de mon mieux pour traduire une émotion, découvrir mon imaginaire et sublimer chaque pièce avec une délicate attention.

    Je me plais présentement à m’imaginer que peut-être quelqu’un a entre les mains un signet. 

    « Pour croire que les choses sont ainsi suffit-il qu’elles me conviennent¹ ? » 

    Quand les mots ne semblent plus exprimer avec justesse ce que je ressens, les perles et les pierres deviennent la métaphore de mon écriture. 

    __________
    ¹ Jean-Jacques ROUSSEAU, Les rêveries du promeneur solitaire, France, Gallimard, 2003, p. 68
    Livre auquel j’ai fait usage pour mon installation intimiste lorsque j’ai présenté ce projet. Disposé sur une petite tablette de bois vieilli dans une minuscule pièce blanche, il comportait un signet avec la citation d’Harry S. Truman. 


    1 commentaire:

    1. Tu as une belle plume Gab ��
      C'est fascinant de lire ce que tu as à raconter. À bientôt

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