Objet abstrait ou un bijou

17 h 05 Gome 0 Comments

Il peut y avoir à l’intérieur d’un seul bijou l’infini des notions liées à la sculpture. Le vrai infini, plus grand que tous les trous noirs réunis. L’infini avec quelque chose comme, je me sens aspirée de terreur (des jours c’est de terreur, d’autres c’est d’une joie immense, d’autres, j’y pense moins, mais tout de même, je me sens aspirée) à l’idée qu’il y a tellement de possibilités de sculpture (et de bijou) à faire pour ce qu’une petite vie humaine nous permet de réaliser. 

C’est dommage et c’est tant mieux. 

Je ne sais pas si c’est particulier à ces temps-ci ou si ç’a toujours été présent en moi cette conviction d’être maximaliste dans l’âme. Je veux voir l’accumulation de n’importe quoi, surtout celui du temps passé à accumuler. Par conséquent, j’ai essayé de faire en sorte d’intégrer un maximum de concepts reliés à la sculpture pour ce dernier projet. Des pièces sont des représentations miniatures d’objets, d’autres comportent des représentations figuratives gravées sur la surface, certaines sont purement des explorations de formes, de couleurs ou de matériaux. Aussi, quelques-unes portent une histoire profondément personnelle tandis qu’une autre est simplement présente pour une question esthétique. Il y en a qui sont des constructions très structurées et à l’inverse, il y en a qui sont une appropriation d’un autre bijou que je n’ai pas fabriqué (le sujet de l’approbation et de la copie dans les bijoux est très préoccupant et tellement riche en arguments, mais c’est un sujet pour un autre projet). Une pièce est également une référence au réel afin d’être plus métaphorique, plus poétique, plus libre d’être interprétée symboliquement par le regardeur. 

Et après avoir regardé chaque pièce, qu’en est-il de l’entièreté du collier ? Que dois-je en penser ? Je ne sais pas encore quoi me dire à son sujet, il est trop frais. Je ne me suis jamais retrouvé avec autant de remises en question à mon rapport avec l’univers du bijou de toute ma petite vie humaine. Je dis univers, mais je déteste ce mot pour ce contexte. Je déteste tout le monde qui a déjà dit « bienvenue… dans mon univers ». Évitons de dire ça, s’il vous plait. Ne dites plus ça, personne. hihihi 

Monsieur Naylor, j’avais noté une phrase que vous aviez dit pendant un cours qui avait résonné en moi : « Un objet suppose le temps, selon entre autres que notre support matériel est temporel ou fixe. » Si on considère un objet par cet aspect, je crois avoir un léger penchant pour l’éternité, du genre que, pour être certaine que les choses durent le plus longtemps possible, je fais en sorte d’utiliser des matières presque déjà mortes mortes mortes, afin qu’elles ne puissent plus trop mourir. Parce que oui du métal ça peut continuer de bouger dans la vie. C’est d’ailleurs tellement agréable de regarder du fils d’argent se dandiner dans tous les sens pendant un recuit hihihi. Ça leur fait tellement du bien de se détendre. Mais bref, bien que rien n’est pour toujours, je veux créer des objets qui s’y rapprochent et que ce soit les sentiments qu’on accorde à l’objet qui puissent correspondre à un moment précis, une durée non définie (bien qu’inévitablement éphémère) ou à l’instant présent qui, sans pouvoir le savoir avec infaillibilité, peut durer l’éternité (en plus que l’éphémérité d’un sentiment n’empêche pas la possibilité de le voir renaitre à un autre moment, d’où l’incertitude du temps qu’il suppose et d’où l’importance de la longévité des matériaux). 

Mais est-ce que tout ça n’est pas quelque part qu’une question de connaissances développées au fil d’une pratique ? Et ça me ramène encore au fait que depuis le début de mon bac, je me questionne beaucoup à ce qui distingue l’art de l’artisanat. Il me semble que ça me mène inévitablement à l’importance de faire preuve de techniques, de savoir-faire par rapport à appliquer des notions théoriques, des réflexions conceptuelles. Je dois m’avouer que j’adore comprendre comment des choses sont fabriquées. J’adore voir des choses bien exécuter. Et je ne sens pas que les cours à l’université me permettent d’avancer personnellement à ce niveau. Mais peut-être devrais-je parfois tenter de carrément oublier la technique ? J’avais fait une lecture intéressante sur le sujet dans le livre Le nouveau bijou de Peter Dormer et Ralph Turner : 

« On peut regretter parfois de ne plus retrouver le plaisir que procure l’habileté technique de l’artisan. Toute idée - aussi bonne soit-elle - peut être gâchée par une mauvaise exécution. Or, […] il a parfois été de bon ton d’ignorer la technique, en partant du principe qu’elle était ennuyeuse et pesante, et qu’elle empêchait l’apparition du Phénix de la créativité. Il est donc arrivé que Phénix se transforme en Icare. Dans certains milieux, la technique artisanale a été traitée avec dédain, comme si elle était à la portée du premier venu. On a souvent dit qu’une importance trop grande accordée à la technique tuait la spontanéité, et il est certain qu’un matériau trop travaillé peut nuire à l’apparence d’un objet : il est possible de trop polir ou de trop accentuer le tranchant des bordures, d’affadit une couleur ou de donner un aspect d’ensemble trop fignolé. Mais « en faire trop » est précisément le signe d’une mauvaise technique ; ce qui compte, c’est l’adéquation d’une technique à une idée créatrice. »

Puis pendant la session, j’ai participé à une formation à l’école de joaillerie de Québec avec le-plus-que-prodigieux-Charles-Lewton-Brain. Il était d’un partage de connaissances incommensurables et il m’a bien fait rire en disant :


« Do you know the difference between an artist and a craftman ? 

The artist can make a beautiful object…
The craftman can make two of them. » 


Savoir qu’on peut faire et refaire ; est-ce que ça provient quelque part du désir de sentir un certain contrôle sur quelque chose ? De penser pouvoir maîtriser une situation, une matière, une apparition ? Est-ce qu’au fond les objets qu’on veut faire deviennent le reflet de ce désir ? 


0 comments: